Présentation
Le Concert Spirituel excelle dans le répertoire de musique sacrée française, dont Hervé Niquet est l’un des plus grands spécialistes. Inspiré par des pièces flamboyantes du Grand Siècle, il a façonné cette soirée autour du Requiem de Pierre Bouteiller. A l’époque, les foules se pressaient aux offices pour y entendre cette musique sensible, voire sensuelle, à la fois séductrice et déchirante.
C’est un programme étonnant et singulier, qui explore toutes les possibilités de la polyphonie avec ses 12 voix d’hommes, aériennes et spirituelles, contrebalancées par la gravité et la suavité des basses d’archet. Il « happe » l’auditeur pour le tenir en haleine jusqu’à la dernière note.
Fort d’un beau succès public, ce programme a été enregistré chez Glossa (Harmonia Mundi) et a reçu immédiatement un « Choc » de Classica.
Henri Frémart (1595-1651)
Missa Eripe (instrumental)
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
De Profundis H 211
Pierre Bouteiller (1655-1717)
Requiem Requiem aeternam
Te decet hymnus
Henri Frémart (1595-1651)
Missa Eripe Agnus Dei (instrumental)
Pierre Bouteiller
Requiem Kyrie
Christe
Kyrie
Si ambulem
Virga tua
Offertoire
Marc-Antoine Charpentier
Stabat Mater (instrumental)
Pierre Bouteiller
Requiem Sanctus
Pierre Hugard (1726-1761)
Missa Redde (instrumental)
Pierre Bouteiller
Requiem Elévation
Agnus dei
Louis Le Prince (1841-1890)
Missa Macula Sanctus (instrumental)
Hosanna (instrumental)
Pierre Bouteiller
Requiem Postcommunio
Sébastien de Brossard (1655-1730)
Stabat Mater
Dans ce programme, Le Concert Spirituel réunit trois des plus grands maîtres de chapelle français de l’époque avec Marc-Antoine Charpentier à la Sainte Chapelle de Paris, Pierre Bouteiller à la cathédrale de Troyes et Sébastien de Brossard à la cathédrale de Strasbourg et nous introduit ainsi dans la représentation de la spiritualité au Grand Siècle, où les compositeurs savaient toucher les âmes par des œuvres toutes emplies de grâce ornementale et de lignes mélodiques d’une expressivité saisissante. Chacune des pièces illustre la forte tradition rhétorique française associée aux éléments fondamentaux de la musique baroque italienne.
Ce concert, outre le fait qu’il présente la Messe des morts de Bouteiller dans son intégralité, permet d’offrir à l’auditeur la reconstitution d’un office des défunts tel qu’il pouvait s’organiser à l’époque baroque selon les chanteurs (ici les voix d’hommes) et les instruments dont on disposait. Les pièces complémentaires qui s’intercalent dans l’œuvre de Bouteiller, celles des compositeurs tels que Henri Frémart, Marc-Antoine Charpentier, Pierre Hugard ou Louis Le Prince, corroborent l’idée du maître de chapelle de l’époque baroque qui devait construire son office à partir des moyens dont il disposait, mais aussi de ses connaissances, de son appétence et du caractère qu’il voulait donner à la cérémonie.
Ainsi Hervé Niquet, à la manière d’un maître de chapelle, « compose » son office avec les ingrédients d’une époque où la dévotion à fait naître quantité de chefs-d’œuvre musicaux. La sûreté d’Hervé Niquet dans ce répertoire provient d’une analyse attentive des sources et de la tradition religieuse baroque qui lui permettent d’assumer des choix originaux. L’expérience de cette Messe des morts qu’il choisit de faire sonner aux seules voix d’hommes est l’une des nombreuses combinaisons décrite en 1650 par le compositeur Jacques de Gouy dans sa préface des Airs à quatre parties sur la paraphrase des psaumes de Godeau (Paris, R. Ballard, 1650) :
Les ecclésiastiques et les religieux, qui pour l’ordinaire n’ont point de dessus, ni presque de haute-contre, pourront chanter les psaumes à 2, à 3 et à 4 parties selon la rencontre des personnes :
– À deux parties, le dessus se chantera en voix de taille et la basse comme elle se trouve écrite, ou bien la taille et la basse ensemble.
– À trois, le dessus en taille, et la taille et la basse dans le naturel.
– À quatre, s’ils ont des hautes-contre chez eux, le dessus se chantera en taille et les trois autres parties se chanteront ainsi qu’il sera marqué dans leurs livres. Cette manière est la moins parfaite ; d’autant que la haute-contre sera plus haute que le dessus chanté en voix de taille. Que si dans leur maison il y a des violes, ils s’en serviront au lieu des parties qui leur manqueront et chanteront les autres. Les religieuses, bien qu’ordinairement elles manquent de taille et de basse, ne laisseront pas de chanter les mêmes psaumes à 2, à 3 et 4 parties : – À deux, le dessus se doit chanter à l’ordinaire et la basse en voix de haute-contre. – À trois, le dessus et la basse comme ci-devant et la taille en voix de dessus. – Et celles qui auront un concert de violes, joueront les parties dont elles ont besoin, et chanteront les autres ; il faut remarquer pourtant, qu’on peut chanter toutes les parties séparément avec la basse.
C’est sur ce principe décrit par de Gouy que Hervé Niquet adapte l’œuvre de Bouteiller.
Fannie Vernaz
Le Concert Spirituel, nom repris de la première société de concerts privés française fondée au XVIIIe siècle, s’impose aujourd’hui sur la scène nationale et internationale comme l’un des meilleurs ensembles français. A l’origine de projets ambitieux et originaux depuis sa fondation en 1987 par Hervé Niquet, Le Concert Spirituel s’est spécialisé dans l’interprétation de la musique sacrée française, se consacrant parallèlement à la redécouverte d’un patrimoine lyrique injustement tombé dans l’oubli (Andromaque de Grétry – « Grand Prix du Disque » de l’Académie Charles Cros 2010, Callirhoé de Destouches, Proserpine de Lully, Sémélé de Marais – ECHO Klassik Awards 2009, Le Carnaval de Venise de Campra – German Record Critics’ Award 2011, Les Mystères d’Isis de Mozart, Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour de Rameau ou Persée version de 1770 de Lully).
Menant son orchestre et son chœur de Paris (chaque saison au Théâtre des Champs-Elysées, à la Philharmonie de Paris ou au Château de Versailles) à la Philharmonie de Varsovie, du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles au LG Arts Center de Séoul, du Royal Albert Hall de Londres à l’Opéra de Tokyo, Le Concert Spirituel montre à tous les publics, à travers des productions inédites et atypiques, et par une démarche innovante, que le baroque sait surprendre et fasciner. Son grand dynamisme international lui permet d’œuvrer largement au rayonnement de l’excellence française à l’occasion d’événements à forte visibilité, comme l’Exposition Universelle de Shanghai, Istanbul Capitale Européenne de la Culture sur le site du Palais Topkapi, la Cité Interdite de Pékin, etc.
Depuis juin 2015, Le Concert Spirituel enregistre exclusivement chez Alpha Classics. Sont déjà parus le DVD Don Quichotte chez la Duchesse, les CD réunissant les Gloria & Magnificat de Vivaldi, les Requiems de Cherubini et Plantade, Persée (version 1770) de Lully, le Messie de Haendel (1754), la Missa Si Deus pro nobis de Benevolo, « l’Opéra des Opéras », la Messe solennelle de Berlioz et dernièrement Armide 1778 de Lully / Francoeur.
Le Concert Spirituel est en résidence au Festival de Rocamadour.
Le Concert Spirituel est subventionné par le Ministère de la Culture (DRAC Ile-de-France) et la Ville de Paris.
Le Concert Spirituel remercie les mécènes de son fonds de dotation, ainsi que les mécènes individuels de son « Carré des Muses ».
Le Concert Spirituel, lauréat du prix Liliane Bettencourt pour le chant choral 2020, bénéficie d’un accompagnement de la Fondation Bettencourt Schueller.
Le Concert Spirituel bénéficie du soutien de ses Grands Mécènes : Mécénat Musical Société Générale et la Fondation Bru.
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Tout à la fois claveciniste, organiste, pianiste, chanteur, compositeur, chef de chœur et chef d’orchestre, Hervé Niquet est l’une des personnalités musicales les plus inventives de ces dernières années, reconnu notamment comme un spécialiste éminent du répertoire français de l’ère baroque à Claude Debussy.
Postulant qu’il n’y a qu’une musique française sans aucune rupture tout au long des siècles, Hervé Niquet dirige les grands orchestres internationaux avec lesquels il explore les répertoires du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Son esprit pionnier dans la redécouverte des œuvres de cette période l’amène à participer à la création du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française à Venise en 2009 avec lequel il mène à bien de nombreux projets.
Il collabore avec des metteurs en scène aux esthétiques aussi diverses que Mariame Clément, Georges Lavaudant, Gilles et Corinne Benizio (alias Shirley et Dino), Joachim Schloemer, Christoph Marthaler, Romeo Castellucci ou Christian Schiaretti.
En 2018, avec le disque Visions, Hervé Niquet et Véronique Gens ont reçu de nombreuses récompenses (élu Recording of the year 2018 par ICMA et Best Recording – solo recital 2018 par les International Opera Awards). En 2019, il reçoit le Prix d’honneur « Preis der Deutschen Schallplattenkritik » pour la qualité et le foisonnement de ses enregistrements.
Hervé Niquet est Commandeur des Arts et des Lettres et Chevalier de l’Ordre National du Mérite.
Pierre Bouteiller dit « L’Aisné » (ca 1655/60 – ca 1717) fut maître de chapelle à Troyes et à Châlons-sur-Marne puis gagna la capitale française pour exercer la fonction de «maître joueur de viole et autres instruments de musique». Hormis la Missa pro defunctis1, on recense treize petits motets pour une, deux, trois ou quatre voix, violes et basse continue et plusieurs airs publiés chez Ballard et Neaulme de 1716 à 1732. Grâce aux travaux du musicologue Martial Leroux, on sait aussi que Bouteiller a composé deux Te Deum aujourd’hui malheureusement perdus pour des circonstances particulières. L’un d’eux a été joué lors des festivités données pour la naissance du Duc de Bretagne, premier fils du duc de Bourgogne (petit-fils de Louis xiv) en 1704, et l’autre pour célébrer la paix de Ryswick en 1697.
Par ailleurs, sans les travaux du théoricien et collectionneur qu’était Brossard, l’œuvre de Bouteiller serait peut-être aujourd’hui totalement inconnue. En effet, mis à part ses œuvres musicales, Sébastien de Brossard (1655-1730) s’est rendu célèbre pour la collection de musique imprimée et manuscrite (traités, partitions de musique profane, religieuse ou instrumentale) qu’il a réunie au cours de sa vie, collection qu’il a cédée au roi en 1724 et dont il a rédigé le catalogue. Véritable témoignage de l’histoire musicale et esthétique d’une époque, ce catalogue est aussi le reflet de l’éclectisme d’un homme cultivé qui, de plus, a été le premier à publier un dictionnaire de musique en langue française en 1703. Dans le catalogue de Brossard sont réunies toutes les œuvres de Bouteiller et notamment l’œuvre religieuse qui se présente sous forme de manuscrit. On y apprend que Bouteiller et Brossard se connaissaient et probablement s’appréciaient, comme en témoigne le catalogue (conservé à la Bibliothèque nationale de France) dans lequel Brossard notait au sujet de son contemporain :
Le tout [motets et messe] composé et très bien écrit par Pierre Bouteiller l’aîné tandis qu’il était Maître de Musique à Troyes. De là il passa à la maîtrise de Châlons-sur-Marne, où je le trouvai l’an 1695 en m’en retournant de Paris à Strasbourg. […] Je lui fis présent de mon premier Livre de Motets qui sortait nouvellement de dessous les presses de Ballard et réciproquement il me donna cette partition manuscrite que j’ai toujours conservée fort précieusement, comme une des meilleures qui soit dans mon cabinet.
Conclure ce concert dédié à la Missa pro defunctis de Bouteiller par le Stabat mater de Brossard est par conséquent une idée pertinente, une sorte d’hommage que rendrait Bouteiller à Brossard (ou l’inverse); c’est aussi l’occasion de confronter deux compositeurs dont les styles sont proches et propices à l’émotion et à l’expressivité en raison du caractère très intimiste de la musique dont le rapport au texte est très étroit.
Fannie Vernaz
(1) La partition de la Messe des morts qui a servi pour ce concert a été publiée par les Éditions des Abbesses sous le titre : Bouteiller, Messe pour les Défunts à 5 voix (Paris, 2002).
Composée en 1693, cette pièce a été écrite pour cinq voix mixtes, dessus, hautes-contre, tailles, basses-tailles et basses (ou basses-contre), accompagnées par la basse continue. Ici Hervé Niquet confie la ligne des dessus à deux haute-tailles, bouleversant ainsi le quintette vocal en lui donnant une couleur particulière. La partie de dessus bascule donc une octave plus bas pour se retrouver en seconde voix, laissant ainsi la place à une partie de supérius (à l’origine la partie des hautes-contre) que Hervé Niquet confie à quatre hautes-contre doublées par une petite basse de violon à 5 cordes. Par ailleurs, et comme l’usage le voulait souvent à l’époque baroque, les voix sont toutes doublées par un instrument. Ainsi on obtient le quintette suivant :
Hautes-contre (comme à l’origine) :
4 chanteurs et petite basse de violon à 5 cordes
Haute-tailles (dessus à l’origine) :
2 chanteurs et viole de gambe
Tailles (comme à l’origine) :
2 chanteurs et violoncelle
Basses-tailles (comme à l’origine)
2 chanteurs et violoncelle
Basses (comme à l’origine) :
2 chanteurs et basse de violon
Le même principe est appliqué dans le Stabat mater de Brossard mis à part certains récits solistes qui sont interprétés par les instrumentistes. Quant aux petites pièces qui viennent compléter l’office, elles sont extraites de plusieurs messes de Frémart, Hugard et Le Prince, et des Méditations pour le Carême de Charpentier. Ces pièces, composées à l’origine pour voix, sont restituées aux seuls instruments.
La disposition des effectifs vocaux et instrumentaux que l’on peut entendre dans ce concert est la suivante : une première rangée d’instrumentistes, située devant le chef d’orchestre, est placée en demi-cercle (petite basse de violon à 5 cordes, viole de gambe, violoncelle, violoncelle, basse de violon). Derrière elle se situent cinq groupes de chanteurs (quatre hautes-contre, deux hautes-tailles, deux tailles, deux basses-tailles et deux basses), chaque groupe étant associé à l’instrumentiste qui le double. Le continuo se situe de part et d’autre de cette disposition : à gauche l’orgue positif et à droite la basse d’archet (contrebasse). Cette disposition donne une couleur particulière à la masse harmonique, dense et grave, et renforce la profondeur de l’œuvre où les voix d’hommes offrent plusieurs contrastes entre versets polyphoniques et versets plus intimes à 2 ou 3 voix. Le Stabat mater de Brossard (daté du 31 mars 1702 et composé pour la maîtrise de la cathédrale de Meaux) tel qu’il vient conclure la messe, permet de parfaire la puissance expressive de l’office, par la richesse des harmonies mais également par la tonalité choisie, ut mineur, ton « obscur et triste » ainsi que Charpentier le décrivait dans l’« énergie des modes » extrait des Règles de composition de 1690.
L’écriture à cinq parties de cette Messe des morts est typiquement française et telle qu’on pouvait l’entendre dans les œuvres interprétées à la Chapelle Royale. Cette conception n’a d’ailleurs trouvé d’équivalent ni en Italie, ni en Allemagne, et disparaîtra dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
La Messe des morts s’inscrit dans la vaste production du répertoire des maîtrises de province à une époque où l’activité musicale était aussi intense qu’à la cour de France. La production de ce type de musique sacrée a existé depuis le début du règne de Louis xiv jusqu’à la Révolution française, parallèlement au motet français et se donnait régulièrement pour toutes sortes de cérémonies, ordinaires ou extraordinaires, aussi bien à la Chapelle Royale que dans les églises du royaume ou dans les institutions religieuses. L’activité des maîtres de chapelle était alors fort soutenue, ces derniers ayant en charge de composer régulièrement pour les offices à une époque où la tradition religieuse était suivie avec ferveur.
Fannie Vernaz