Qu’on les nomme magiciennes, sorcières, ou plus joliment enchanteresses, qu’elles soient belles ou laides, jeunes ou vieilles, implacablement cruelles ou charitables, elles n’ont cessé d’inspirer les plus beaux vers, les plus belles stances, pourvu qu’elles soient ambiguës et mystérieuses… Véritables muses des compositeurs baroques, de nombreux opéras se sont basés sur leur légende, développant des couleurs musicales expressives mêlant extase et ivresse des sentiments. La mezzo-soprano Lucile Richardot, au timbre troublant et généreux est accompagnée du talentueux Jean-Luc Ho, incarnant la génération montante du clavecin français.
Vidéo de Lucile Richardot
MÉDÉE
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Ouverture d’Ariodante (1735) *
« Dolce riposo », air de Medea, Teseo (1713), Acte II, scène 1.
Francesco Cavalli (1602-1676)
« Dell’antro magico », air de Medea, Giasone (1649), Acte I, scène 14.
Joan Cabanilles (1644-1712)
Tiento por A la mi ré *
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
« Quel prix de mon amour », air de Médée, Médée (1693), Acte III, scène 3.
ARMIDE
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Monologue d’Armide, Armide (1686), Acte II, scène 5.
Jean-Henry d’Anglebert (1629-1691)
Passacaille d’Armide (arrangement d’après Lully, Armide, Acte V, scène 2)*
CIRCÉ
William Webb (1600-1657)
Pow’rful Morpheus, let thy charms
Henry Purcell (1659-1695)
Music for a while
Francois Couperin (1668-1733)
La Dangereuse * (sarabande du 5e « ordre », Premier livre de pièces de clavecin, 1713)
François Colin de Blamont (1690-1760)
Circé (1ère version, Cantates françaises à voix seule avec symphonie et sans symphonie. Livre premier. 1723)
* pièces pour clavecin solo
Un feu qui couve sous la cendre, le calme avant la tempête, la tendre douceur, la tristesse et la plainte d’être délaissée… Puis soudain c’est le déchaînement de fureur.
Derrière les pouvoirs ensorceleurs ou maléfiques des magiciennes de la mythologie ou de la littérature épique se cachent souvent une même médaille et son revers : l’amour et le désespoir de ne pas être aimée.
Médée, Armide et Circé sont autant les âmes damnées que les mauvaises consciences de Jason, Renaud et Ulysse. Leurs drames personnels sont parfois cathartiques : le double infanticide de Médée, le sort jeté par Circé pour retenir Ulysse à ses côtés malgré lui pendant que ses compagnons restent captifs et changés en porcs, un autre sort jeté dans son île enchantée par Armide sur Renaud qui se trouve presque ramolli et « efféminé » pour qu’il n’ait plus de velléités belliqueuses, lui, le valeureux chevalier chrétien de la Première croisade, destiné à délivrer Jérusalem dans le récit de l’italien Torquato Tasso en 1580.
Elles parlent et commandent aux monstres les plus affreuses machinations parce qu’elles sont, en fait, profondément malheureuses. Elles pourraient n’être que douceur, mais la jalousie et le dépit prennent toujours l’ascendant et les submergent. Chez Charpentier, Médée le dit bien : « J’ai forcé devant lui cent monstres à se rendre, dans mon cœur où régnait une tranquille paix… ».
Une ambivalence de sentiments les traverse, bien illustrée par la douceur du repos de Médée dans le Teseo de Haendel. Qui fait pendant à la prise de conscience par la Médée de Charpentier, de la trahison de Jason auquel elle a tout sacrifié. C’est à ce moment clé qu’elle commence à entrevoir l’inconcevable moyen de sa vengeance, malgré son cœur de mère, et qu’elle bascule… Celle du Giasone de Francesco Cavalli est déjà moins dans l’émotion que dans les potions.
Le monologue si connu d’Armide de Lully (1687) incarne un autre moment de bascule fatale : Renaud est endormi, Armide arrive pour n’en faire qu’une bouchée. Elle a été envoyée par le sénat des Enfers pour semer la discorde dans le camp chrétien (elle n’est donc pas forcément du camp musulman…). Pourtant elle tombe littéralement sous son charme et perd tous ses moyens. Elle convoque alors tous ses démons pour se transformer « en d’aimables zéphyrs ». Pouvoirs de la magie, ou magie de l’amour, finalement…?
La « perfide Albion » excelle également en ensorcellements : l’inquiétante berceuse de William Webb dans Pow’ful Morpheus décrit dans son second couplet Circé qui veille avec sa harpe dont les cordes enchantées entretiennent le leurre, pour ne pas ravir trop vite les amants (et donc le couple forcé qu’elle forme avec Ulysse, en creux !) à leurs « voluptés secrètes » et que « la nuit dure éternellement »…
Purcell rappelle, avec Music for a while, que la menace d’Alecton, furie à la tête ornée de serpents et fouet en main, pèse sur les hommes, même si elle se laisse attendrir par la musique, pour un moment seulement. Alecton à laquelle en appelle ensuite Circé, parmi les « dieux du Ténare », pour se venger de l’abandon d’Ulysse, dans la très théâtrale cantate de François Colin de Blamont, composée sur un poème de Jean-Baptiste Rousseau (1669-1741) et présentée ici dans sa première version pour basse continue seule (la seconde, datant de 1729, prévoit une partie de dessus, pour violons et flûtes allemandes, et de nombreux ajouts de symphonies).
Lucile Richardot découvre le chant dès l’âge de 11 ans, à Epinal, au sein des Petits Chanteurs à la Croix de Lorraine (Alain Bérat, puis Geoffroy Jourdain), et mène d’abord une première vie de journaliste. Formée au Conservatoire du 5e arrondissement de Paris, à la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, puis au CRR de Paris en musique ancienne, elle fonde en 2012 son ensemble, Tictactus, avec deux amis théorbistes. Elle reçoit les précieux conseils de Margreet Hoenig, Noëlle Barker, Paul Esswood, Martin Isepp, Rinaldo Alessandrini, François Le Roux, Jan van Elsacker, Monique Zanetti, Howard Crook, Jill Feldman…
Voix et personnalité dramatique très recherchée dans le répertoire médiéval jusqu’au contemporain, elle chante régulièrement avec les Solistes XXI (Rachid Safir), Correspondances (Sébastien Daucé), Pygmalion (Raphaël Pichon), l’Ensemble grégorien de Notre-Dame (Sylvain Dieudonné), Le Concert Etranger (Itay Jedlin), l’ensemble tchèque Collegium 1704 (Vaclav Luks), et avec les Arts Florissants pour l’intégrale des madrigaux de Monteverdi dirigée par Paul Agnew, entre 2012 et 2016, puis les madrigaux de Gesualdo en 2018-2019.
Elle s’est produite avec Gérard Lesne, Patrick Cohën-Akénine, Peter Van Heyghen et Les Muffatti, Ophélie Gaillard et Pulcinella, Thibault Noally et Les Accents, Le Poème Harmonique, Les Paladins, l’Ensemble Intercontemporain, La Tempête, Faenza, Le Caravansérail… Depuis 2007, elle fréquente les plus grandes scènes européennes pour des opéras baroques (Cadmus et Hermione de Lully, Idoménée de Mozart, L’Egisto de Mazzocchi et Marazzoli, Dido and Aeneas de Purcell, Orfeo de Rossi, Arsilda de Vivaldi, Rinaldo de Haendel, Les Funérailles de la Foire de Lesage et Fuzelier…) et contemporains (Yvonne, Princesse de Bourgogne de Boesmans, The Rake’s Progress de Stravinsky, Wüstenbuch de Beat Furrer…).
Entamant une nouvelle aventure en 2017 avec le Monteverdi Choir (Sir John Eliot Gardiner) pour sa tournée mondiale des trois opéras de Monteverdi, elle incarne tour-à-tour Penelope, la Messaggera ou Arnalta, et retrouve ses fièdles amis de Correspondances évidemment pour la recréation scénique du Ballet Royal de la Nuit, de nouveau en tournée en 2020.
Elle a ainsi travaillé avec des metteurs en scène aussi différents et hauts en couleurs que Luc Bondy, Christoph Marthaler, Benjamin Lazar, Jean-Denis Monory, Cécile Roussat et Julien Lubek, Vincent Huguet, Jetske Mijnssen, Judith Le Blanc, David Radok, Elsa Rooke, Francesca Lattuada, la spécialiste du théâtre d’objets et de marionnettes Claire Dancoisne…
En 2018, elle fait ses débuts au Festival d’Aix-en-Provence dans Dido and Aeneas de Purcell pour les rôles de Sorceress et Spirit, ainsi qu’au Carnegie Hall de New-York, au Concertgebouw d’Amsterdam, à La Côte Sant-André ou encore à la Philharmonie de Paris pour explorer quelques héroïnes tragiques de Berlioz à l’invitation de Sir John Eliot Gardiner et de son Orchestre Révolutionnaire et Romantique. Elle le retrouvera en 2019 pour les rôles de Junon et Ino dans la Semele de Haendel, l’occasion d’autres débuts, cette fois-ci à la Scala de Milan.
Après sa participation à une quarantaine d’enregistrements depuis l’enfance, c’est une saison marquée enfin par la sortie de son premier disque solo chez Harmonia Mundi, Perpetual Night, qui réunit, avec la complicité toujours infaillible de Sébastien Daucé, les plus poignantes pépites d’airs anglais inédits du 17e siècle. Il a déjà reçu une pluie de récompenses internationales, dont le Diapason d’Or de l’année en catégorie « baroque vocal », le Choc de l’année du magazine Classica, un Diamant d’Opéra Magazine ou encore le Prix de la Critique allemande du disque 2018 (Preis der deustchen Schallplattenkritik). Le spectacle Songs qui en est tiré et mis en scène par Samuel et a tourné dans toute la France.
Et aux horizons 2019-2020 et 2021, la perspective de Das Lied von der Erde de Mahler dans sa version Schoenberg, le rôle d’Amastre dans le Serse de Haendel à l’Opéra de Rouen et au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction d’Enrico Onofri, ou encore Geneviève dans Pelléas et Mélisande de Debussy… Entre autres récitals, oratorios et reprises de productions d’opéra !
Jean Luc Ho a étudié la musique pendant plus de quinze ans. Il se produit aujourd’hui en concert au clavecin, à l’orgue, au clavicorde et en ensemble. Chers et nombreux sont ses amis – facteurs, chercheurs, musiciens, artisans – qui facilitent et inspirent quotidiennement son travail. Il consacre ses premiers enregistrements en solo à Bach, Couperin, Sweelinck, Byrd (choix de France Musique, Diapason découverte, 5 diapasons, Choc Classica)… Organiste remplaçant de Saint-Germain-des-Prés à Paris de 2006 à 2016, il est l’un des fondateurs de « L’art de la Fugue », œuvrant à la restauration, l’installation et la valorisation d’un orgue historique castillan de 1768 en l’église de Fresnes (94).
Soutenu par la fondation Royaumont, il enregistre les Partitas de Bach en 2015 et y fonde son ensemble en résidence à partir de 2017. Musicien associé au Festival Bach en Combrailles de 2017 à 2019, il explore grâce aux particularités de l’orgue de Pontaumur la musique germanique du début du 18e et s’y produira en concert avec des œuvres majeures de Bach telles que l’Art de la Fugue, les Variations Goldberg…
Professeur de clavecin de l’école de musique de Franconville (95) de 2004 à 2011, il enseigne maintenant lors de stages ou masterclasses pour EmbarOquement Immédiat, la Fondation Royaumont, l’académie de claviers de Dieppe… Il intervient également depuis plus de 10 ans au musée de la musique – Philharmonie de Paris – pour un public plus large.
Jean Luc Ho est claveciniste en résidence à la Fondation Royaumont (2018-2020).
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