Paul O’Dette, l’un des plus grands luthistes actuels, nous révélera le secret des Muses. Il a puisé pour cela dans le Lord Herbert of Cherbury’s Lute Book, un manuscrit du 17e siècle compilant des œuvres de compositeurs Italiens, Français et Anglais. Les Muses ont inspiré un style propre à chacun de ces pays n’excluant cependant pas des influences réciproques. Ainsi peut-on distinguer le style piquant des Italiens, celui plus délicat des Français ou encore la richesse mélodique des Anglais. Le titre de ce récital est tiré du recueil pour luth du Français Nicolas Vallet dont nous écouterons de nombreuses pièces.
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Le luthiste Paul O’Dette est considéré comme le plus grand génie qui ait jamais touché cet instrument (Toronto Globe and Mail). Il s’affirme comme l’un des musiciens les plus influents dans le domaine de la musique ancienne, et se produit dans le monde entier en donnant des récitals ou des concerts de musique de chambre aux côtés de ses éminents collègues du monde de la musique ancienne
Paul O’Dette participe à plus de cent quarante enregistrements. Il remporte deux Grammy et est nominé à sept reprises. Enfin, un grand nombre de ses enregistrements remportent des prix de renommée internationale.
Bien qu’il soit surtout connu pour ses récitals et ses enregistrements de musique de luth solo virtuose, Paul O’Dette se consacre également à la direction d’ensemble et de chef d’orchestre dans le domaine de l’Opéra Baroque.
Parallèlement à son activité d’interprète, Paul O’Dette est un chercheur passionné et réalise un travail considérable sur l’interprétation et les sources de la chanson avec luth en Italie et en Angleterre au 17e siècle, sur l’art du continuo et sur la technique du luth. Il publie également de nombreux articles sur l’interprétation historique et a cosigné l’article sur Dowland dans le New Grove Dictionary of Music and Musicians.
Paul O’Dette est professeur et directeur du département de musique ancienne de l’Eastman School of Music. Il est également directeur artistique du Festival de Musique Ancienne de Boston.
En savoir plus : facebook
Nicolas Vallet (c.1583 – après 1642)
Guillemette (1615)
Courante de mars
La Chacona
Anonymous
En me reverant
Vieux Gautier
Courante
Gautier
Courante “Son Adieu”
Anonymous
Chacogne
Giovanni Girolamo Kapsberger c. 1585 – 1650
Toccata Ia (1611)
Gagliarda Ia
Toccata VIa
Gagliarda I0a
Nicolas Vallet
Prélude (1615)
Onse Vader im Hemelryck
Passemeze en b mol
Bourée d’Avignon
Gaillarde du comte Essex d’après Dowland
*** PAUSE ***
Nicolas Vallet
Les Pantalons
La Mendiante Fantasye
Pavane en forme de Complainte
Carillon de village
Robert Johnson (c.1583 – c.1633)
Pavin
Almaine
Daniel Bachelar (1572-1619)
Prélude
Fantasie
3 Courantes
Une jeune fillette
NOTE D’intention
«Recueil de luth… contenant diverses Leçons choisies par d’excellents Auteurs de plusieurs Contrées, où sont aussi quelques-unes de mes propres Compositions» Herbert
Le programme de ce récital est inspiré par l’une des plus importantes sources de la musique pour luth du XVIIe siècle, le Lord Herbert of Cherbury’s Lute Book, conservé au Fitzwilliam Museum à Cambridge. Ce recueil contient 242 pièces des principaux compositeurs pour luth anglais, français et italiens comme John Dowland, Daniel Bachelar, Robert Johnson, Jacques Gaultier, Jacob Polonois, Diomedes Cato et Lorenzino di Roma. Le manuscrit est extraordinaire non seulement pour la qualité de son contenu et la quantité de ses pièces uniques, mais aussi parce qu’il est la seule source de certains styles et formes de composition de son époque. Le manuscrit nous donne un aperçu du répertoire riche, mais peu connu, du luth à 10 choeurs de la Renaissance, qui devait bientôt disparaître en faveur du luth baroque français alors en plein développement. Compilateur de ce manuscrit, Edward, Lord Herbert de Cherbury (1582-1648), est Ambassadeur de James Ier en France de 1619 à 1624. C’est là où il rencontre, et étudie avec les principaux luthistes français de l’époque.
Au début du XVIIe siècle, co-existaient trois styles distincts de musique pour luth, chacun reflétant le goût de leur pays d’origine : les Italiens mettaient l’accent sur la virtuosité et d’ardentes dissonances, élégance et délicatesse étaient la règle pour les français, aux côtés des harmonieuses mélodies anglaises magnifiquement ornementées. C’est à cette époque que ces différents styles se sont entremêlés, ce qui s’est traduit par l’utilisation de l’ornementation à la française dans des pièces anglaises, l’imitation de la guitare italienne dans les Sarabandes et enfin les motifs d’arpèges à la française dans les œuvres italiennes. Le mélange de ces styles, ainsi que la transition progressive des harmonies et des formes de la Renaissance vers le baroque, rendent ce répertoire particulièrement fascinant.
Un grand nombre des pièces françaises de ce manuscrit sont attribuées à «Gaultier». Parmi les nombreux luthistes de la famille Gaultier, Jacques Gaultier (vers 1595 – après 1652), connu sous le nom de «Gaultier l’anglais», est l’auteur le plus probable de ces œuvres. Il avait fui la France en 1617 après avoir assassiné un jeune noble et s’était finalement retrouvé à la Cour d’Angleterre comme luthiste et professeur de la Reine Henriette Marie de France. Lord Herbert fut directement impliqué dans les négociations avec Louis XIII, qui continua de faire pression sur les Anglais pour son extradition.
Sa Courante intitulée «Son adieu» a peut-être été un adieu à sa patrie – il ne s’agit pas de la pièce au titre identique du compositeur plus célèbre, Vieux Gaultier. Jacques est membre de la Royal Music de Charles Ier de 1625 à 1641, période au cours de laquelle il devient l’un des luthistes les plus influents d’Angleterre. Selon une source, il était remarquable «pour la qualité de ses mains – les plus rapides, les plus précises – qu’il n’ait jamais existé.»
Lord Herbert n’a pas pu rencontrer Nicholas Vallet, l’un des luthistes français les plus influents de son époque, car, calviniste convaincu, il avait récemment fui la France pour les Pays-Bas pour éviter les persécutions religieuses. Mais s’il l’avait rencontré, Herbert aurait sans aucun doute été fort impressionné par sa magistrale capacité de mélanger les styles musicaux français, anglais et néerlandais. Dans ses deux volumes du Secret des Muses, publiés en 1615 et 1616, Vallet donne des instructions pour jouer dans le nouveau style français, y compris des indications de doigtés pour la main droite et la main gauche pour presque toutes les notes ! Les activités musicales variées de Vallet comprennent la direction d’une école de danse, où il enseigne au public néerlandais les dernières danses à la mode à la Cour de France, et d’un quatuor professionnel de luth avec trois Anglais expatriés. Ensemble, ils élaborent l’un des premiers contrats de type syndical réglementant les conditions de représentation et de paiement, et surtout promeuvent un style dans lequel la mélodieuse musique anglaise et ses diminutions virtuoses ont été combinées avec les techniques françaises modernes du style brisé, des trilles et appoggiatures dissonantes et de notes inégales.
À son arrivée à Amsterdam, Vallet s’installe près de la Oude Kerk dans laquelle le grand Jan Pieterszoon Sweelinck est organiste. Bien que les Calvinistes aient banni l’utilisation de l’orgue pendant les services religieux, Sweelinck, l’Orphée d’Amsterdam, joue et improvise à l’orgue et au clavecin pendant une heure avant les services du matin et de la soirée. Il semble évident que Sweelinck ait eu une grande influence sur l’œuvre de Nicholas Vallet que l’on perçoit particulièrement dans les préludes, fantasias, variations et psaumes, comme le magnifique Onse Vader im Hemelryck – arrangement de l’hymne de Martin Luther pour le Notre Père. Plus précisément, l’utilisation de textures en quatre parties dans des œuvres contrapuntiques, des passages fréquents de notes rapides dans la basse pour accompagner les mélodies dans le dessus, le placement d’un cantus firmus dans une voix différente pour chaque variation (y compris l’utilisation extensive des registres de basse et de contrebasse), l’arrangement de chants folkloriques hollandais et le traitement des hymnes dans le style des organistes, tout cela souligne l’effet profond que le jeu de Sweelinck a dû avoir sur le jeune Français.
La connaissance de la musique italienne d’Herbert de Cherbury se limitait au répertoire entendu à Paris et pratiquement uniquement aux œuvres de Diomède Cato et de Lorenzino di Roma. Néanmoins, l’essentiel de la musique italienne pour luth de l’époque était écrit par Giovanni Girolamo Kapsberger. Né vers 1580 et dans une famille noble allemande vivant en Italie, Kapsberger passa la plus grande partie de sa vie professionnelle à Rome au service du Pape Urbain VIII et du Cardinal Antonio Barberini. Bien que connu pour ses œuvres de luth et de théorbe, Kapsberger a écrit une quantité de musique vocale, sacrée et profane, y compris des motets, messes, vêpres, oratorios, monodies, villanelles et opéras, ainsi que des sinfonie et des danses pour diverses combinaisons d’instruments. Dans les années 1620 Kapsberger s’impose comme l’un des plus éminents musiciens de Rome. Le théoricien Kircher prétendait que Kapsberger était le digne successeur de Monteverdi pour la composition d’une musique vocale hautement expressive. Ses œuvres de luth solo publiées dans sa collection de 1611 comprennent certaines des œuvres les plus audacieuses et inventives de tout le répertoire du luth. Ses toccatas extravagantes, ses foisonnantes fioritures improvisées, ses dissonances audacieuses et rythmes décalés, donnent un aperçu du style extraordinaire de l’improvisation instrumentale au début du XVIIe siècle à Rome.
Au début du manuscrit se trouvent des œuvres de compositeurs élisabéthains tels que que Dowland et Holborne. Néanmoins la musique anglaise la plus intéressante de cette compilation est bien celle de leurs contemporains plus jeunes, Robert Johnson, Daniel Bachelar et Cuthbert Hely. Les changements de style qui ont eu lieu dans la musique de luth anglaise après 1600 sont particulièrement bien représentés dans cette anthologie. Robert Johnson (vers 1583 – c 1633) était le fils de John Johnson, lui-même luthiste à la cour de la Reine Elizabeth. Alors que la musique de John est pleine de passages virtuoses et de rythmes croisés, Robert se concentre davantage sur la sonorité, la texture et les harmonies expressives. Les lignes claires et élancées des élisabéthains sont abandonnées au profit d’une écriture rhapsodique renforcée par l’utilisation du style brisé, des dissonances, et de la riche résonance des cordes basses récemment ajoutées à l’instrument. L’exquise Pavin en ut mineur de Johnson est l’un des exemples de ce nouveau style proto-baroque.
Daniel Bachelar (1572-1619) est l’un des compositeurs-luthistes anglais les plus importants de cette époque, même si jusqu’il y a peu de temps et nous ignorions pratiquement tout de sa vie et de sa carrière. Mais, grâce au travail infatigable d’une de ses descendantes, Anne Bachelar, nous connaissons maintenant les années de sa naissance et de sa mort et un certain nombre de détails sur sa carrière. Bachelar a écrit une musique sophistiquée de Consort pour la maison de Sir Francis Walsingham alors qu’il est encore adolescent, et a rapidement développé un style très distinctif, ouvrant de nouvelles voies pour la technique du luth. Ses variations sur la chanson populaire française Une jeune fillette est l’une des œuvres les plus remarquables du répertoire de luth du début du XVIIe siècle. Certains passages étaient si originaux qu’ils ont été empruntés textuellement par de nombreux autres luthistes de l’époque.
Malheureusement, le génie de Bachelar n’a pas permis d’empêcher que la pratique du luth ne tombe en désuétude en Angleterre. Moins de 60 ans après sa mort, le luth fut considéré comme un «instrument délaissé et maltraité». Les paroles d’encouragement de Thomas Mace en 1676 ne pourraient pas être plus appropriées aujourd’hui :
«Chear up, Brave Soul! And know that some Yet Living, who for Thee will take such Care, (there are) That Thou shalt be Restor’d Thy former Glory, And be Eterniz’d to Eternal Story.»
Paul O’Dette