In Nomine / Walsingham – Léon Berben
Léon Berben
John Bull (1562/63 – 1628)
In Nomine – Walsingham
SORTIE > 23 OCTOBRE 2021
Virtuose ébouriffant, John Bull est un explorateur qui manie des rythmes improbables et prodigue la dissonance. Son œuvre étonne par son exubérance, ses variations ornementales où prolifèrent les notes rapides. Dans In Nomine, il expérimente des formules nouvelles, dans Walsingham, il donne d’éblouissantes variations sur un air populaire.
Léon Berben, dernier élève de Gustav Leonhardt et fin connaisseur des pratiques historiques, propose une interprétation personnelle des œuvres de John Bull. Laissez-vous séduire par ses acrobaties digitales !
La direction artistique et technique de l’enregistrement de cet opus est confiée à François Eckert (Sonomaître).
Compositeur, virtuose du clavier et facteur d’orgues, John Bull était nommé organiste de la cathédrale de Hereford en 1582, l’année suivant il est également maître des chœurs. Elevé en 1586 au rang de gentleman de la Chapelle royale, dont il deviendra organiste, il partage dès lors son temps entre Londres et Hereford. En 1592, il devient docteur en musique de l’université de Cambridge. Sa nomination en 1610 à la tête de la musique du prince Henry confirme sa position dominante dans la vie musicale anglaise de son temps. A la suite d’un scandale touchant sa vie privée, Bull quitte en 1613 définitivement l’Angleterre pour les Flandres espagnoles. Il entre à Bruxelles dans le service du duc Albert et fréquente d’autres organistes, parmi lesquels Sweelinck, Peter Philips et Pieter Cornet. En 1617, il est nommé organiste de la cathédrale d’Anvers où il est enterré en 1628.
Une grande partie de l’œuvre de Bull fut perdu lors de la fuite du musicien vers les Flandres. Elle compte aujourd’hui essentiellement des pièces pour clavier ainsi qu’un ensemble considérable de canons. Plusieurs anthems ont également survécu.
Quelques réflexions au sujet de l’enregistrement : Etant donné qu’il n’existe pas de bonne édition des œuvres pour clavier de John Bull, il est difficile de travailler à partir d’une bonne partition pour un enregistrement. Mais, après tout, un enregistrement n’est pas l’illustration d’une version d’une partition, c’est une proposition sonore, esthétique et artistique de la musique de Bull. Il faut toutefois essayer de trouver la partition adéquate pour ne pas se disperser dans les différentes sources car cela pourrait donner la chose suivante : un mélange d’ornementations selon les sources A et C avec des indications de la source B et l’accord final de la source D, etc. Cela ne me semble pas très cohérent. Il en résulterait ainsi une partition, qui certes n’a jamais existé au 17e siècle, mais qui serait le fruit d’une telle approche.
Mais que ressort-il des différentes sources ? Une image très contrastée. Dans l’une, il y a beaucoup d’ornementations, dans l’autre quasiment pas. On peut se demander si la source parisienne (enregistrée sous le numéro F-Pn, Rés. 1185) a véritablement été rédigée – en partie – par John Bull lui-même. Pour quelle raison, dans cette source même, une pièce a-t-elle été transmise dans deux versions différentes ? Dans l’une des sources, le rédacteur s’immisce plus dans la partition et dans d’autres il y a des « erreurs ». Mais il est important d’identifier l’auteur de ces modifications : s’agit-il d’un virtuose, d’un compositeur ou juste d’un admirateur et collectionneur enthousiaste ? S’agissant des “erreurs”, en sont-elles vraiment ? Un signe oublié ou rajouté – par exemple par Thomas Tomkins (1595-1655) – est-ce vraiment une erreur ? Plusieurs petits signes successifs ne peuvent-ils pas avoir chacun un sens différent ? Une harmonie dure ne peut-elle pas avoir été voulue ? Faut-il vraiment éviter une harmonie dure ? Et même si Tomkins a apporté des modifications, sa version reste plus proche de l’époque et de la pratique de Bull qu’une version moderne. De plus, malgré une pratique de la Musica Ficta, la compréhension des signes, différents selon les sources, reste difficile. Par Musica Ficta on entend la pratique par laquelle les musiciens complètent les signes. De nos jours, il n’est pas clair où on doit l’appliquer et les points de vue sont très différents.
Ce problème n’est pas seulement propre à la musique anglaise. Le compositeur et théoricien Michael Praetorius (1571-1621) ne dit pas “c’est écrit ainsi et c’est ainsi qu’il faut le lire…”. Il écrit : “Sic veteribus – sic mihi placet” (Syntagma musicum III, 1619), que l’on peut traduire par : c’est ainsi que c’est écrit chez les anciens (que je ne comprends plus) – et cela me plait ainsi.
C’est assurément un point de vue très personnel mais qui offre de nombreuses perspectives. Comment faut-il procéder lorsqu’une pièce n’existe que dans une seule source et que cette dernière n’est avec certitude pas de la main de Bull, telle la pièce enregistrée ici, “In Nomine X”. Ne doit-on pas s’engager dans une telle partition avec prudence ? Comment pouvons-nous savoir si dans un hypothétique manuscrit autographe perdu, ce dernier ne comportait pas des signes alors même que ces derniers auraient pu sembler surprenants ou illogiques ? Dans beaucoup d’éditions la musique est lissée. Devons-nous vraiment nous arrêter à la logique et au goût de l’éditeur de la partition ? Et la question se pose de savoir pourquoi, dans les éditions modernes, les notes sont divisées, entrainant un doublement du tempo par rapport aux sources originales ! Ne serait-il pas temps pour une édition critique des sources, par exemple le Tomkins – Oxford 1113 – ou le Manuscrit Cosyn comme cela a été effectué pour le Fitzwilliam Virginal Book ? Nous trouvons les principales ornementations dans le manuscrit Cosyn. Leur surnombre est bien souvent considéré de nos jours comme de mauvais goût et n’étant pas dans l’esprit du compositeur. Mais à quel goût cela fait-il référence ? Ne doit-on pas ignorer ces ornementations ? On ignore en fait quels étaient les ornements de Bull. Mais cela nous épargnerait uniquement du temps lors des répétitions. L’ornementation fait partie intégrante de la structure. Elle n’est pas un complément superficiel ou luxueux. Des virtuoses tels Bull ou Gibbons ont très certainement rajouté beaucoup en exécutant les pièces même s’ils n’ont pas noté ces ornementations. Pourquoi, après tout des virtuoses auraient-ils dû noter leurs ornementations ? Cosyn note une ornementation très riche et Tomkins, modifie, par exemple – en comparant les sources existantes – les signes et parfois même un petit motif. Je pense, en conclusion de ces réflexions, qu’une lecture et une interprétation personnelles sont fondamentales. Il ne faut pas être trop rigide et apporter sa propre contribution : l’interprète n’est pas effacé entre l’instrument et le compositeur, bien au contraire ! Il n’y a pas de vérité absolue et il est inutile de la chercher. Est-on fidèle à l’œuvre si l’on restitue la partition de manière harmonieuse sans dissonances et sans rajouter d’ornementations ? L’objectif de l’interprète n’est-il pas de provoquer l’enthousiasme, un choc, un émerveillement et l’attention ? Il ne s’agit pas, après tout, de restituer une musique de fond ou de bien-être ! L’une des caractéristiques les plus marquantes de la musique des virginalistes anglais des 16e et 17e siècles est l’usage d’un grand nombre de signes d’ornementation, principalement / et //. Mais que signifient ces symboles utilisés tant de fois ? La réponse la plus honnête est que l’on n’en sait rien.
On a toujours cherché à déchiffrer ces symboles et à en proposer une interprétation. Elles peuvent être pour partie exactes ou au contraire trop simplifiées. Une question se pose, par exemple, au sujet de l’ornementation connue sur le continent européen sous le nom de Mordant – que l’on emploie souvent de nos jours dans l’interprétation de ce type de répertoire – la connaissait-on dans l’Angleterre du 17e siècle ? Aucune source anglaise contemporaine de Bull ne mentionne ce type d’ornementation et les symboles / et // ne sont pas explicités. La première source à les définir date d’environ 1630/35 et provient d’Edward Bevin. Il est intéressant de noter que Bevin ne décrit pas ces symboles comme provenant d’une liste traditionnelle de trilles mais au contraire comme étant quelque chose de très singulier, une liaison improvisée entre deux notes. Ainsi, il n’y a pas de réponse claire et nette à la question de savoir comment ces signes d’improvisation ont été interprétés. Peut-être que chaque interprète donnait un sens différent à ces signes, selon l’affect, le rythme, l’espace ou l’instrument mais aussi les facultés techniques ? Peut-être qu’à l’époque on ne souhaitait tout simplement pas une exécution standardisée comme on aimerait que cela soit le cas aujourd’hui ?
En s’inspirant de Roger North, on pourrait dire : “The spirit of that art is incomunicable by wrighting” (L’esprit de cet art n’est pas transmissible par écrit).
Léon Berben est né en 1970 à Heerlen aux Pays-Bas et vit à Cologne. Il étudie l’orgue et le clavecin à Amsterdam et à La Haye auprès de Rienk Jiskoot, de Gustav Leonhardt dont il est le dernier élève, de Ton Koopman et de Tini Mathot, et y obtient le diplôme de soliste.
Il est organiste titulaire de l’orgue historique de Ostönnen (ca. 1425/1722).
Entre 2000 et 2006, il est le claveciniste de Musica Antiqua Köln (Reinhard Goebel), avec qui il donne des concerts en Europe, en Asie et en Amérique du Nord et du Sud et enregistre de nombreux CD pour «Deutsche Grammophon /Archiv Produktion». Après la dissolution de l’ensemble fin 2006, il poursuit une carrière de soliste qui le conduit dans les festivals internationaux les plus renommés comme Klavier Festival Ruhr, Festival de Saintes, Lucerne Festival, Internationaal Orgel Festival Haarlem, Festival Oude Muziek Urecht, Rheingau Musik Festival, Festival de Música Antiga de Barcelona, Bach Festival Montreal… En tant que musicien de chambre, il coopère avec l’ensemble Concerto Melante (Berliner Philharmoniker).
Passé maître dans la pratique de l’orgue et du clavecin, ses connaissances étendues de l’histoire de la musique et des pratiques historiques font de Léon Berben l’un des meneurs de sa génération de la musique ancienne. Son répertoire s’étend de 1550 à 1790, mais son intérêt se porte principalement sur la musique allemande, les virginalistes et Jan Pieterszoon Sweelinck.
Il a signé comme co-auteur des articles pour Die Musik in Geschichte und Gegenwart. L’étude intensive des sources et le constant travail de recherche confèrent une qualité particulière à l’art de l’interprétation de Léon Berben. Ses enregistrements solos sur instruments historiques ont été encensés par la critique et ont obtenu de nombreuses récompenses, dont le «Diapason d’or» de la revue Diapason, le «Choc» du Monde de la Musique et le Prix trimestriel de la Deutsche Schallplattenkritik.