Pour conclure cette édition, Vincent Dumestre propose une sélection d’œuvres qui posent l’hybridation au cœur de leur essence. Poésie, rhétorique, spiritualité, sens et passions s’invoquent, se répondent, s’opposent et se lient dans la musique romaine du début du XVIIème siècle. Les parodies spirituelles de textes profanes, le passage de textes poétiques et amoureux vers la liturgie sont illustrés par des œuvres de Claudio Monteverdi, Luigi Rossi ou Domenico Mazzochi. Mais c’est sans doute le Miserere d’Allegri, ultime métamorphose par l’improvisation d’un faux-bourdon devenu chef-d’œuvre et quintessence du baroque, qui illustre le mieux la richesse des métamorphoses musicales imaginées par les compositeurs baroques italiens. Les huit instrumentistes et les neuf chanteurs du Poème Harmonique portent cette musique mystique, paradoxalement charnelle et sensuelle, à son plus haut niveau.
Claudio Monteverdi (1567 – 1643)
Si dolce è’l martire
Anonyme (?)
Domine ne in furore
Antonio Maria Abbatini (1595 – 1679)
Sinfonia
Marco Marazzoli (1602 – 1662)
Passacaglia Chi fà ?
Un sonno ohimè
Anonyme (?)
Telluris alma conditor
Gregorio Allegri (1582 – 1652)
Miserere mei Deus
Note d'Intention
Vers 1630 en Italie, un voyageur franchit le seuil d’une église. Double vertige ! Tandis que l’œil se perd dans la profusion baroque, l’oreille croit rêver. Quels sont ces bruits de bataille, ces plaintes amoureuses, ces disputes théâtrales qui ont remplacé les cantiques ? Et pourtant : c’est bien en latin que résonnent, sous les voûtes surchargées, entre les colonnes torses, les noms du Christ et de la Vierge.
Malgré la surprise des visiteurs – hier comme aujourd’hui –, l’affaire est entendue dans l’Italie du Seicento. Depuis la naissance de l’opéra, la langue musicale est celle des passions ; même à l’église, où saints et pécheurs s’expriment comme des figures lyriques. Parfois le spirituel entre lui-même en scène, comme dans La Vita humana de Marazzoli qui confronte, sous forme de personnages, les passions contraires de l’âme.
Du profane au sacré, les voix souvent se confondent. On pense au Pianto della Madonna, où Monteverdi reprend note à note son bouleversant lamento d’Ariane, ne changeant que le texte. Mais de telles métamorphoses sont courantes : chez Monteverdi toujours, Pascha concelebranda emprunte au très célèbre Altri canti di Marte son fracas guerrier, sonnant la victoire du Christ sur la mort. Sì dolce è l’martire garde la tendresse chaloupée d’une page amoureuse, et Maria quid ploras transforme une peine de cœur en plainte de la Vierge. De même chez d’illustres contemporains : la cantate de Luigi Rossi sur la mort glorieuse de Gustave II devient – toujours en changeant les paroles – une scène de la Passion.
Suite de l’album Nova Metamorfosi – l’un des plus grands succès du Poème Harmonique –, ce programme inclut dans sa version étoffée le Miserere d’Allegri : joyau polyphonique transfiguré par un retour aux manuscrits, ainsi qu’une ornementation exaltée. Ultime métamorphose, par l’improvisation, d’un faux-bourdon devenu chef-d’œuvre et quintessence du baroque.