La Légende Noire – La Guilde des Mercenaires

La Guilde des Mercenaires

Le Sixième Livre des Madrigaux de Carlo Gesualdo

(1566 – 1613)

SORTIE > 8 OCTOBRE 2021

 

Le Prince de Venosa et l’œuvre qu’il a laissé ne sont que paradoxes. Créateur inspiré et âme tourmentée après l’assassinat de sa première femme, ses compositions sont emplies de dissonances suaves et de chromatismes audacieux. Traversées de fulgurances radieuses, ses polyphonies créent un perpétuel clair-obscur.

La proposition de la Guilde des Mercenaires est des plus originales. Adrien Mabire a choisi de faire interpréter le Sixième Livre des madrigaux non seulement par des chanteurs mais également par des instrumentistes.

La direction artistique et technique de l’enregistrement de cet opus est confiée à François Eckert (Sonomaître).

 

La Guilde des Mercenaires

Carlo Gesualdo (1566 - 1613)

Carlo Gesualdo, prince de Venosa, comte de Conza, est un compositeur de madrigaux souvent chromatiques de la Renaissance tardive. Tristement célèbre parce qu’il a assassiné sa femme en 1590 après l’avoir surprise ” in flagrante delicto ” avec le duc d’Andria.

Bien que très tôt compositeur accompli, Gesualdo ne commença à publier des madrigaux qu’après s’être fixé temporairement à Ferrare et y avoir épousé sa seconde femme, Leonora d’Este, en 1594. Six livres parurent de 1594 à 1611, mais sa musique ne fut que peu affectée par les changements stylistiques intervenus ailleurs en Italie : elle représente l’aboutissement d’une technique compositionnelle particulièrement idiosyncrasique.

Après avoir vécu dans l’isolement de son domaine de Gesualdo, le prince fut grandement stimulé par la vie musicale intense de Ferrare, où il se lia d’amitié avec Luzzasco Luzzaschi et d’autres virtuoses de la cour ducale, qui de leur côté influencèrent sa production ultérieure tout comme l’arcicembalo microtonal de la collection d’instruments de la cour des Este. Lorsqu’en 1595 il retourna avec sa femme au château de Gesualdo, il entreprit de créer sa propre maison musicale, allant jusqu’à engager un imprimeur princier.

Interpréter Carlo Gesualdo par Adrien Mabire

En ce début du 21ème siècle, où Monteverdi est programmé dans les plus grandes salles de concerts, il est étonnement rare pour un musicien d’aborder l’œuvre de son contemporain Carlo Gesualdo. Cette situation est due, à mon sens, à plusieurs raisons :

Pour beaucoup, ce compositeur est celui de l’étrange, de la tension mais également de la modernité. On peut aisément faire ce constat en écoutant ne serait-ce qu’un seul des madrigaux du livre que nous enregistrons ici. Nonobstant, il est à mon sens trop facile et réducteur de faire ce raccourci.

Gesualdo peut être abordé de deux manières différentes :

– Si nous convenons que Gesualdo va loin dans la pratique harmonique, et que nous n’avons pas l’habitude d’entendre un tel chromatisme, on peut alors le mettre en relation avec des compositeurs récents, comme Pierre Boulez, ou Gérard Grisey par exemple. Gesualdo serait donc un compositeur extrêmement novateur et complexe pour le XVIIème siècle. A l’instar du regard que nous portons sur la musique contemporaine, il garderait donc une forme d’étrangeté, d’exercice ou encore de provocation. Dans ce sens, programmer en miroir les musiques des deux époques pourrait être concluant.

– Si nous abordons cette musique non pas comme une œuvre contemporaine, mais bien comme de la musique « ancienne », on peut alors suivre le choix que font d’autres ensembles, c’est à dire programmer ses livres de madrigaux en formation à cinq chanteurs seuls, afin de redonner en concert un livre en particulier, le plus souvent dans son intégralité. On le considère alors comme un maître de la polyphonie, à l’instar d’autres compositeurs plus « conventionnels » comme Giovanni Pierluigi Palestrina ou encore Orlando di Lasso.

Dans les deux cas, c’est dans la quasi-totalité des productions actuelles à capella que cette musique est restituée.

Ce deuxième choix, a capella, serait lui aussi acceptable au regard des éléments suivants :

– les dissonances sont telles que rajouter l’orgue, tenant donc les notes de manière parfaitement mésotonique (quart de coma), ne permet pas aux chanteurs de tricher dans leurs lignes et finir leurs cadences en tempérament pur, comme tout bon chanteur le ferait, mais oblige à assumer les tensions du tempérament.

– rajouter les cordes frottées ne correspond pas à l’usage historique pour doubler les chanteurs.

– les vents sont considérés, pour l’oreille moderne, trop « présents ». Dans l’imaginaire collectif actuel, on rajouterait un consort de vents pour doubler un chœur, et non cinq chanteurs solistes.

Prenons ici le temps de mettre en contexte cette œuvre :

A une époque ou Monteverdi a déjà publié de nombreuses œuvres ou la Seconda Prattica est clairement installée, Gesualdo fait le choix de rester dans un art au semblant archaïque, celui de la polyphonie.

Pourquoi ? Gardons en tête que Gesualdo n’a pas besoin de produire de la musique pour être rémunéré, comme c’est le cas de la quasi-totalité des compositeurs, mais qu’il est tenu par les conventions et la tradition que lui impose son rang et son statut de noble. Aussi, il ne faut pas tout de suite considérer Gesualdo comme moderne, mais au contraire comme traditionaliste, voulant pousser à l’extrême un art fantastique qu’est celui de la polyphonie, ou toutes les voix doivent être belles individuellement et belles ensemble. Il semble s’amuser tout en ayant une haute opinion de son œuvre. Comme s’il considérait sa « stratégie » musicale comme étant la meilleure : il cherche à innover tout en restant dans les codes établis.

Une fois ce constat posé, j’ai fait le choix de considérer l’œuvre et l’homme en mettant en perspective le contexte de création, tout en essayant d’éviter les idées modernes préconçues.

Bien que la partition soit à priori exclusivement vocale, nous pouvons considérer cette musique comme ayant été jouée également avec ou par les instruments. De plus, bien que le livre soit publié en un seul bloc, il ne faut pas en déduire forcément que tous étaient joués à la suite, dans l’ordre et dans la même répartition.

La formation proposée ici est révélatrice de l’ensemble des projets de La Guilde, et peut paraître inédite. Mais en réalité, cela a existé à l’époque de Gesualdo et c’est bien la pratique ancienne que de mélanger voix et instruments à vents. Bien que les cuivres n’étaient pas présents à la cour de Gesualdo, il était courant de les utiliser pour doubler les voix, et ce dans toute l’Europe.

J’ai donc opté pour une distribution comme on peut la trouver dans les instrumentarium de la musique du XVIIème italien, et pour le disque en position double chœur se faisant face :

– 5 chanteurs d’un côté

– 5 vents de l’autre : 2 cornets, 2 trombones et basson

– orgue liant les deux côtés.

Nous avons travaillé sur une partition moderne, ayant dans sa marge les annotations de clés anciennes (chiavettes) qui feraient sonner le tout plus bas que les clés modernes proposées sur la portée. Pour la question des chiavettes, soulevée à chaque fois que l’on joue ce type de musique polyphonique (comme pour Monteverdi et les Vepres par exemple), j’ai résolu à ma manière :

J’avais d’abord pensé faire tout le livre au diapason 520, en transposant l’écriture à la quarte inférieure. (Ce qui ferait sonner le livre écrit en écriture moderne un ton plus bas que le diapason moderne 442). Mais cette solution en apparence miracle ne résout pas l’équation car certains madrigaux restent soit trop extrême pour un chanteur, soit injouable convenablement par un instrument.

Aussi, a-t-il fallu réfléchir et trouver la meilleure combinaison pour chaque madrigal : soit pour les voix, soit les instruments, le tout mélangé, une voix et quatre instruments, deux plus trois, etc.

Certaines parties ou madrigaux entiers doivent clairement être chantés. Quand le texte est très présent, ou lorsque les voix sont proposées de manière syllabique sur chaque croche, comme dans le numéro 5.

A contrario, certains sonnent très instrumentaux, comme le numéro 18, véritable canzon per strumenti une fois jouée sans le texte, avec ses grandes envolées et autres tirata.

Cette réflexion dans le détail conduit à un résultat enthousiasmant et inattendu : une variété de répartition, de timbre, de sons…  avec une équipe pourtant réduite, et permet de faire émerger une véritable dramaturgie en suivant le livre dans l’ordre d’édition.

En fonction de la répartition et donc du madrigal, nous avons donc gardé tantôt l’écriture moderne haute, tantôt transposé d’un ton plus bas, ou encore à la quarte, ou même à l’octave (numéro 10). Il fallait que cela reste jouable par les instruments et confortable pour les voix. Donc une deuxième voix pas trop grave pour le deuxième cornet (sol grave max), un soprano pas trop tendu (la aigu max), un alto ne restant pas constamment tendu, une basse aisée…

J’en suis aussi arrivé à la conclusion que le diapason 440 était le plus adapté tant en termes de facture instrumentale autant que pour la transposition.

La Guilde des Mercenaires

La Guilde des Mercenaires est un ensemble de musique ancienne constitué de plusieurs artistes réunis autour du cornettiste Adrien Mabire.
L’ensemble prend ce nom de « Guilde », à l’origine des organisations de solidarité regroupant des hommes ayant des intérêts communs, pour désigner ces musiciens de plusieurs horizons mettant en commun leurs connaissances pour jouer la musique du 17e siècle.
Ayant la volonté de faire sonner au maximum de leurs possibilités les « hauts instruments », La Guilde des Mercenaires est composée de chanteurs à la voix timbrée et d’instrumentistes vaillants.
L’ensemble s’attache à jouer la musique ancienne, entretenant l’héritage légué par les musiciens de l’époque du Seicento, tout en prenant en compte les spécificités de notre temps.
Ses enregistrements ont étés salués par la critique, au niveau international. Le premier, consacré au compositeur Giovanni Bassano, le second autour de grands motets et de sonates virtuoses, le troisième autour des œuvres de jeunesse de Giovanni Gabrieli, est à paraître en 2021.

Basée en Bretagne, mais faisant appel à des artistes de toute l’Europe, La Guilde est constituée de musiciens formés dans les plus grandes écoles. Par la personnalité des musiciens qui la composent, La Guilde des Mercenaires s’impose dans le paysage de la musique ancienne comme un ensemble dynamique.